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18 juin 2023

Il y a deux jours

houat

M1

 

on père est mort un 16 juin. Ce serait faux de prétendre que j'ai ressenti quelque peine à cette annonce, mon cerveau n'étant plus en mesure d'assimiler quoi que ce soit comme information.

À cette date, cela faisait déjà un bon moment que je déambulais dans un brouillard diffus, incapable de penser à une action autre que celle déjà réglée dans un odieux quotidien mécanisé, tout sentiment laissé en jachère par un épuisement destructeur que personne ne reconnaissait comme tel. La fatigue est tellement courante à notre époque, et si intimement liée à un phénomène sociétal que la mienne ne pouvait que se noyer parmi les autres, sans que qui que ce soit ne puisse s'apercevoir qu'elle était en train de m'effacer de ce monde.

Sans doute aussi qu'à la mort de mon père, une petite masse dure s'était déjà installée au coeur de mon sein droit sans que là encore mon cerveau ait les moyens d'intégrer l'information en tant qu'alerte. Plus rien ne parvenait à me sortir de cette torpeur provoquée par l'indicible pour lequel il faudrait inventer un vocabulaire afin de le rendre audible. J'ai raté la mort de mon père et ses derniers mois, dans l'impossibilité totale de prendre la décision qui me rapprocherait de lui pour sentir sa respiration une ultime fois. À l'annonce de sa mort, même mes larmes étaient en mode automatique, froides comme l'était désormais son corps.

C'est comme si la fatigue m'avait insensibilisée à toute forme de douleur jusqu'à ce que le départ de mon logement et le sommeil ne me mènent à l'effroyable réalité de la disparition. La vue de cette forme décharnée devant moi, comme rétrécie par la mort ne m'arracha aucun cri, étouffé sous une tristesse infinie. Mes larmes coulèrent enfin brûlantes, sur mes joues gonflées de honte. C'est entre deux hoquets de sanglots que j'ai seulement pu chuchoter à mon père l'indicible, parce que je savais qu'il ne m'écoutait plus, et que l'inénarrable n'avait même pas sa place au royaume du néant.

Lorient,  18 juin 2023

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