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13 février 2021

L'après K

mer

L

 

 a quasi-totalité des personnes ayant survécues à un crabe parlent d'un avant et d'un après. Cette espèce de joie niaise qui nous envahit après le traitement, je l'ai ressentie sans pour autant pouvoir l'apprécier pleinement. Un virus est venu s'interposer entre elle et moi. Une fois le mot rémission prononcé, ma jubilation effrontée d'intégrer de nouveau le monde des vivants, s'est rapidement figée en plongeant dans le regard las des confinés, et mon sourire béat s'est progressivement évanoui à la vue des visages hermétiques, me crachant chaque jour à la gueule leur difficulté à vivre dans un monde clos, et défiguré par un masque chirurgical.

J'ai dû taire comme tant d'autre fois mon bonheur face au soleil, et faire semblant d'accorder de l'importance à ce que j'estimais désormais être d'une futilité déconcertante. J'ai quitté le royaume des morts par la petite porte pour me heurter à celui plus grand encore des agonisants accompagnés de leurs sempiternels maux quotidiens. Une fois de plus, j'ai dû également réprimer mon enthousiasme, et laisser pourrir un tonitruant "Je suis vivante !" au fond de ma gorge, sous peine d'offenser du haut de ma joie cette morosité semblant inévitable à la vie de tous. J'avais déjà un wagon de retard sur le monde avant la maladie, j'ai l'impression après elle, d'avoir raté tout le train. C'était à mon tour de cracher mon bonheur à la face du monde, et on aurait pu m'accorder ce droit si un virus ne s'était pas immiscé pour me couper l'herbe de cette liberté sous le pied.

J'incarne ces personnes qui ont le droit au bonheur avec interdiction de l'afficher. Alors qu'il se traduit pour une majorité d'individus à des réussites successives dans tout ce que la vie peut offrir comme perspectives, je continue d'aborder le monde avec cette distorsion de la réalité du bonheur qui se résume à l'absence de souffrance. Le fait d'être en vie est une réussite en soi. Elle l'est d'autant plus, quand on frôle la mort aussi souvent qu'il m'est arrivé de le faire. J'aurais voulu exploser de gratitude après le crabe, on ne m'en a pas laissé l'occasion. Il n'y aura pas eu d'après cancer pour moi, juste un rire brisé dans son élan, une bouche élargie de joie crevée dans l'oeuf de la survie, un regard goulu de lumière noyé dans l'obscurité des autres. J'ai compris que ce n'était pas le moment d'être heureux, qu'on ne m'y autorisait tout simplement pas.

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