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10 octobre 2021

Cet ailleurs incompréhensible

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C1

 

omme d'habitude, j'ai l'impression d'arriver dans un nouvel endroit tant les modifications sont conséquentes. Ici, la redécoration ne s'opère pas seulement par un changement de place de tel cadre ou tel meuble, les murs bougent littéralement.

Les fenêtres creusées hier dans des murs trop épais sont aujourd'hui colmatées, les cloisons repoussées sans cesse un peu plus loin comme pour créer du plein sur un vide irrécupérable. C'est un endroit où les meubles ne changent pas de place ni ne vieillissent, on les remplace sitôt qu'une nouvelle idée surgit, encore indistincte mais nourrie de cette nécessité d'être satisfaite dans l'immédiat, sous peine que l'ennui reprenne sa place, immuable.

Il n'y a guère que lui qu'on ne semble pouvoir bouger, alors on déplace tout le reste. On creuse, on abat ici pour mieux construire là. On achète comme au monopoly le terrain d'à côté, avec la maison dessus, et puis on creuse à nouveau, et on abat, et on reconstruit. On mange chaque fois un peu plus de végétal pour agrandir l'espace bétonné toujours trop petit. La terrasse est d'une grandeur ahurissante et le temps du seul arbre ayant survécut à cette spoliation de la terre est compté. L'ennui est goulu et semble en demander toujours plus.

La dernière fois que j'y suis allée, la cuisine avait changé de place, la sciure sur les meubles était encore visible, un énième lave-vaisselle avait pris la place de celui qui n'avait vécu que quelques mois entre des mains pressées par le changement, ainsi qu'un nouveau frigo, et un nouveau piano de cuisine. Comme d'habitude, mon regard s'est posé en premier lieu sur la corbeille de fruits, pleine et appétissante. Je sais également par habitude que l'essentiel des fruits sera mangé dans la journée, ou ne sera pas jusqu'à ce qu'une fine pellicule verte les envahissent et forment un jus s'écoulant dans le fond du saladier.

Je tais chaque fois ma stupéfaction, ayant appris tant bien que mal à me mouler à cette forme de vie à mille lieues de la mienne. Je fais avec, comme si c'était normal et profite de ce confort spatial et alimentaire le temps que je m'y trouve, cependant à un cheveu de la folie, non autorisée à être choquée sous peine de braquage. Le parvenu clôt toute discussion sur la lutte des classes en vous rétorquant des "Je sais ce que c'est" et/ou "Je n'oublie pas d'où je viens". Ce bref passage verbal par sa modeste condition d'hier lui permet d'avaliser tous ses excès d'aujourd'hui, sans honte et sans scrupule.

J'attends d'être revenue chez moi pour espérer glâner quelque objectivité sur un train de vie où tout m'égratigne mais c'est le contraire qui se produit alors que je retrouve le frigo quasi-vide d'une grand-mère à la trop maigre pension.

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