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3 août 2021

La maison

Tournesol

L

 

a première chose que je remarque quand j'y retourne ce sont les plantes, mortes d'attendre cette eau qui ne viendra plus. On aura beau dire qu'elles sont mortes de soif que cela ne changera rien à la tristesse.

Chagrin est le premier mot qui vient à l'esprit quand on ouvre la porte sur un tel vide autrefois si plein, le chagrin du papier jauni, de la peinture écaillée, du canapé élimé, des vêtements passés, du carrelage démodé, et des photos délavées ne représentant plus que des sourires muets. Un millier de détails me sautent à la gorge et me clouent dans une telle torpeur invalidante, que j'ai l'impression que je vais mourir à chaque nouveau regard jeté sur les lieux. Les premières briques de cette maison ont été posées quand ma mère était enceinte.... de moi.

Je devais déjà remuer dans son ventre alors qu'elle visitait les pièces encore nues, imaginant où se trouverait la cuisine et les chambres, souriant à mon père devant leur nouveau nid qui ne demandait qu'à se remplir. J'avais deux ans à la remise des clés, je ne me rappelle de rien mais je suis emplie des visages irradiant du bonheur de mes parents. Les années qui suivent ne sont qu'émerveillements sur émerveillements, la sensation d'être immortelle et que rien ne changera jamais s'est inscrite fermement dans mon esprit sans que je m'en aperçoive, trop occupée à vivre.

Les rires étouffés sous la neige épaisse avec pour témoins infrangibles les deux grosses pierres laissées sur place à l'achat du terrain, les boutons d'or printaniers égayant la pelouse d'un œil doré, le déclencheur des appareils photos figeant à jamais notre enfance dans une visionneuse à diapo, la vie s'effilant en un prisme radieux d'éclats de joie n'ont fait que me conforter dans cette conviction naïve que tout resterait en l'état, pour toujours. Mes yeux neufs étaient si pleins de naïveté bienheureuse qu'ils n'auront pas capter les heures peut-être plus sombres mais pas assez nombreuses pour que le bonheur change de camp.

J'aurais tellement voulu que tout reste ainsi, que je rechignais à grandir, sentant à chaque nouvelle année, un déchirement au fond de mon ventre, le souffle froid d'une réalité encore enfouie dans les ténèbres, celles d'un autre âge que je ne pourrais refouler bien longtemps, et qui arriverait pour me kidnapper aux bras de l'enfance. Depuis, j'ai appris la mort et ses coups bas, ne laissant plus que des murs vides et défraîchis, au sein desquels sont emprisonnées des réjouissances à tout jamais silencieuses. Ma chambre d'enfant, après avoir accueillie nos espiègleries, semble s'être rétrécie avec le temps.

Entre les fleurs roses et jaunes entourant les premiers pas effrontés et la faucheuse guettant au trou, le papier peint à changé au moins trois fois de couleur et de résidants. Le landeau a laissé la place à un petit lit, lequel s'est eclipsé à la faveur d'un lit double, la chambre a changé de nom, de chambre d'enfant est passée à chambre d'amie pour finir en chambre mortuaire, tout ça sous mes yeux refusant de vieillir, accompagné d'un retentissant « C'est la vie ! » ne pouvant appartenir qu'aux esprits fous.

Avant de partir, mes yeux se posent sur cette nature morte, symbolisée par les deux chaises en formica de la cuisine, immuables devant la petite table qui ne peut pas parler, résolument fidèles aux lieux. On pourra bien dire que les objets n'ont pas d'âme, en cet instant fulgurant où mon regard tombe de chagrin sur ces deux chaises inaltérables, je crois bien que si, les objets ont une âme et gardent tout pour eux.

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